Je sais que je ne sais rien. Qu’en approchant des gens de façon aussi fugace, je n’ai que le meilleur. Ils me donnent leur forêt dorée, m’épargnent leur pylône électrique. Dois-je pour cela renoncer à la rencontre ?
Je cadre, forcément. En prenant ma photo, je cadre de façon à valoriser la forêt qui ici, ce matin, est d’un jaune doré sublime. J’évite consciencieusement le gros pylône électrique à ma gauche. En remontant le sentier, je pense à nos rencontres de ces derniers jours. Catherine, Gérard, Marie-Claude, Patrice. J’ai adoré passé quelques temps avec ces personnes, poser des questions sur leur vie, leurs passions. J’ai été attendrie par la gentillesse de leur accueil, à tous. Et je n’ai pas envie de penser au cadrage.
Je sais que je ne sais rien. Qu’en approchant des gens de façon aussi fugace, je n’ai que le meilleur. Ils me donnent leur forêt dorée, m’épargnent leur pylône électrique. Dois-je pour cela renoncer à la rencontre ? Je me questionne comme ça sur plusieurs kilomètres, et au petit-déjeuner, j’essaie avec les enfants de quantifier l’accès que nous avons à la réalité de chacun. Quand nous parlons 2 heures avec une personne, qu'elle répond à nos questions, elles-mêmes orientées en fonction de notre curiosité et de nos centres d’intérêt, à quel pourcentage de la personne avons-nous accès ? Je lâche un 3 % qui ne veut rien dire. Je ne sais jamais dire à combien de mètres de moi se situe quoi que ce soit ou estimer combien nous sommes dans la pièce. Autant dire que j’ai peu de chances d’être juste dans mon estimation. Quelles sont les névroses de Catherine ? Quels sont les traits de Gérard qui n’ont rien à voir avec de la gentillesse ? A quel moment Marie-Claude peut-elle se montrer détestable ? Qu’est-ce que Patrice a à se reprocher ? Et puis : en sais-je plus de celles et ceux que je côtoie depuis plus longtemps que deux heures d’échange ? Combien de pour-cent me sont inconnus chez mon mari, ma mère, mes enfants, mes meilleur.e.s ami.e.s ? Sans parler de moi-même.
...