En ce moment, je ploie sous le poids de plusieurs récits qui me font mal à la tête et aux épaules. Je les trouve encombrants, je les traîne depuis tellement longtemps ; ils sont usés jusqu’à la corde, j’en connais le moindre mot et pourtant, mon Dieu qu’ils sont puissants et agissants.
Laurent, que je ne connais pas non plus donc, a quand même nettoyé le siphon de notre douche. Et ne nous cachons pas derrière notre petit doigt : il y a fort à parier qu’il a dû en extraire une pâte brunâtre dégueulasse et malodorante dans laquelle se mélangeaient tous types de cheveux.
Je me demande quels pays, quelles cultures portent quels fardeaux, quelles transmissions, dans ses préceptes, ses proverbes et ses injonctions. Y a-t-il une géographie des « il faut » et « il ne faut pas », des « on peut » et « on ne peut », des « on doit » et « on ne doit pas » ?
Pourquoi écrire ? Pourquoi continuer d’écrire alors qu’il est si difficile de vendre des livres ? Pourquoi passer des heures sur une phrase ? Pourquoi inventer des histoires ?
Cette phrase, j’ai besoin de me la redire, encore et encore, pour me sauver.
Je suis debout, à côté du lit dans le salon. J’astique consciencieusement les verres de mes lunettes. Le cabinet de curiosités dans lequel nous vivons cette semaine est fatalement poussiéreux et chaque matin, je le mesure aux particules déposées sur mes verres. Je pousse un petit cri, léger, mais Xavier accourt.
Nos identités sont des mouvances plurielles, difficiles à borner, impossibles à figer. Alors, parfois, dresser une petite liste ou établir un podium donne je trouve le sentiment de s’établir un peu.
Je sais que je ne sais rien. Qu’en approchant des gens de façon aussi fugace, je n’ai que le meilleur. Ils me donnent leur forêt dorée, m’épargnent leur pylône électrique. Dois-je pour cela renoncer à la rencontre ?
Je revis, pendant ces quelques semaines en camping-car, le bonheur simple des gestes limités, d’une cuisine où tout est accessible d’un geste, d’un mouvement que je ne trouve pas réduit mais resserré autour de notre présence et nos relations.