Elle a dit : « Je vais trouver quelque chose de pas trop dispendieux. »

Je suis debout, à côté du lit dans le salon. J’astique consciencieusement les verres de mes lunettes. Le cabinet de curiosités dans lequel nous vivons cette semaine est fatalement poussiéreux et chaque matin, je le mesure aux particules déposées sur mes verres. Je pousse un petit cri, léger, mais Xavier accourt.

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5 min ⋅ 26/10/2025

Je suis debout, à côté du lit dans le salon. Au plafond, il y un grand ventilateur avec une photo sur chaque pale, que je distingue mal quand je suis allongée dans le lit. Une guirlande de lumières traverse la pièce de part en part. Un dinosaure - un parasaurolophus je crois - escalade un globe coupé en deux qui fait office d’abat-jour - je saisis soudainement la violence contenue dans ce terme. Sur les étagères, je recense un moulage de dents, une baleine, un bocal avec un liquide dans lequel flotte quelque chose d’indistinct, des cartes d’immigration, un abécédaire québécois à l’usage des expatriés atteints du mal du pays, une sorte de buse empaillée les ailes déployées. Il y a des livres partout, beaucoup.  Dans la cuisine, des assiettes dépareillées et trois étagères entières dédiées à toutes sortes de tisanes. Des cartes, des affiches, des petits mots, autant de symboles qui dessinent des portraits. Une faucille, un marteau, un autocollant « en grève » et un dépliant sur les mesures de sécurité pour celles et ceux qui veulent se mettre en action, glissé dans les archives révolutionnaires de l’histoire des mouvements écologistes du Québec me renseignent un peu. Chaque jour, j’ouvre et ferme les fenêtres à guillotine que j’aimerais avoir chez moi. Je pose ma main sur les poignées rondes que j’aimerais avoir chez moi. J’apprécie le sentiment de sécurité quand je marche seule dans les rues, même la nuit. J’essaie de graver ce sentiment en moi, que j’aimerais avoir chez moi. Même si ma forêt ne me fait pas peur.

Je suis debout, à côté du lit dans le salon. J’astique consciencieusement les verres de mes lunettes. Le cabinet de curiosités dans lequel nous vivons cette semaine est fatalement poussiéreux et chaque matin, je le mesure aux particules déposées sur mes verres. Je pousse un petit cri, léger, mais Xavier accourt. Ma monture s’est brisée, en deux exactement. Les idées se frayent rapidement un chemin dans mon esprit. Casser ses lunettes n’est jamais une bonne nouvelle. Encore moins quand on est en long voyage à l’étranger. J’ignore comment ces frais pourront ou pas être pris en charge. Je ne sais pas combien de temps je peux tenir sans lunettes avant d’avoir mal à la tête. Nous organisons la solution, en débarquant dans une quincaillerie de quartier où les allées surchargées laissent à peine la largeur de votre corps disponible. Nous achetons de la colle forte mais le vendeur est très sceptique. Il aura très raison. Je laisse un message à la personne qui loge en ce moment chez nous : pourra-t-elle déposer la paire de lunettes qui se trouve dans le meuble en bois de la salle de bain dans la boîte aux lettres svp. Je demande à une amie si elle pourra aller la récupérer, me l’envoyer. Au mieux, je réceptionnerai cette vieille paire plus à ma vue d’ici 2 ou 3 semaines ; nous quittons Montréal dans quelques jours pour quelques jours aux Etats-Unis. Pas le meilleur timing. Je commence sérieusement à penser au scotch. J’ai repéré la façade d’une optométriste à quelques mètres de l’appartement. J’imagine que c’est quelque chose qui combine les métiers d’ophtalmo, d’opticien, d’orthoptiste…

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Par Aurélie Jeannin

Les récits que nous faisons de nous sont très puissants. Certains nous ligotent, nous limitent. D’autres nous portent de façon grandiose et libérée. Je m’appelle Aurélie Jeannin. J’accompagne par le récit, sous des formes diverses.

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