Cette phrase, j’ai besoin de me la redire, encore et encore, pour me sauver.
À quoi ça sert ?
Ça ne sert à rien.
Je ne sers à rien.
Je suis nulle.
Je suis moche.
Je suis inutile.
J’ai été estomaquée cette semaine de constater la puissance des histoires que nous nous racontons. Ce n’est évidemment pas la première fois que je le constate ; j’ai fait mon métier d’observer et ajuster les récits que nous produisons. Mais ces derniers jours, j’ai ressenti encore plus puissamment la façon dont la vague d’un récit dépréciatif pouvait me balayer, me tirer vers le fond. Et j’ai pensé à ça : au fait que ce qui nous agace ou nous choque pouvait beaucoup dire de ce vers quoi nous aimerions davantage tendre, et au fait que parfois, nous mémorisons des phrases qui pourraient sembler très insignifiantes et qui en réalité, disent beaucoup de nous. Une phrase anodine qui passe doucement dans la conversation nous accroche. On y repense, plus tard, encore et encore, souvent. « Donnez-moi un marteau et je verrai des clous. » est de ces phrases-là pour moi. J’ignore dans quel contexte je l’ai entendue pour la première fois mais je n’ignore pas la lassitude de mes proches à m’entendre la citer. Je crois que si cette phrase m’a à ce point happée, c’est que je connais par coeur mon penchant pour la rumination, ma tendance à globaliser ce qui peut n’être qu'un détail, ma croyance que ce qui est bon ne durera pas, que ce qui est dur sera toujours, et que pour l’éviter, je ferais bien de tout changer tout de suite.
Cette phrase, j’ai besoin de me la redire, encore et encore, pour me sauver. Pour me convaincre moi-même : « Regarde, tu t’es créé une matrice. Tu regardes tout à l’aune de ce canevas. Ton regard n’est ni vrai, ni juste. Il est orienté, il est biaisé. Et il t’entraîne dans des méandres que tu connais tellement bien qu’ils pourraient te sembler confortables. Te faire oublier comme ils sont sombres et mal fréquentés. » En me rappelant que nous filtrons notre réel et anglons le récit que nous en faisons, cette phrase m’invite à regarder autrement.
...