Elle a dit : « Il n’y a rien de grave. »

Mais où commence le grave ? Et où finit-il ? Et qu’en fait-on ? Quelle attention demande le grave ? Ou bien : le grave serait-il cette pensée qui se dissout dès lors qu’on le décide ? Si je choisis que rien n’est grave, rien ne l’est alors ?

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4 min ⋅ 14/09/2025

J’accueille l’information. Je serais presque tentée de dire : j’accueille la nouvelle. Nous sommes assises face à face, dans un petit salon près d’un bar, sur un domaine où passent touristes, vacanciers et commerciaux. Des gens qui ont besoin d’un lit, d’un repas, parfois d’un soin. Qui ont besoin d’un lieu où être quelques temps.

Elle a ce truc que j’ai observé chez beaucoup des entrepreneuses et entrepreneurs qui m’ont raconté leur parcours ; une sorte de calme. Pas de dispersion, pas d’affolement, alors que le téléphone vibre à tout va, et que j’imagine la liste des choses à faire et décisions à prendre longue comme le bras. Elle comme d’autres qui ont fort à faire, semble avoir éprouvé que rien ne sert de courir, qu’il convient d’être présent à chaque situation, que c’est au prix de cette présence que l’on parvient à tout mener de front. Et c’est une leçon, je crois.

Elle me raconte son histoire, l’histoire de ce domaine qu’elle a repris à la suite de son père qui l’avait lui-même repris à la suite de ses parents. Plus tard, elle m’emmènera visiter les lieux. De tout ce que j’entendrai ce jour-là, il me reviendra de trouver la cohérence identitaire qui permettra de poser des mots justes et de composer un magazine qui remplacera la traditionnelle brochure. Je suis attentive à tout et à rien en même temps. Cela me permet de ne pas tirer de conclusion hâtive et de rester disponible à ce que je découvre.

Elle me cueille soudain. Je ne m’en rends pas immédiatement compte. Mais ce matin, un mois environ après notre entretien, je prends la mesure de la façon dont son affirmation est restée en suspens en moi. Plus que ça même : elle trottine en moi. Je crois que je sens ses petits petons sous ma peau, le long de mes bras, en bas de mon dos… « Il n’y a rien de grave. » Ce n’est pas la phrase lâchée à l’enfant qui vient de tomber. Que l’on assène en espérant éviter les pleurs. Ce n’est pas une affirmation dont elle essaierait de se convaincre. Un mantra à répéter pour que l’idée s’ancre. Non. C’est une affirmation rodée. C’est une pierre polie sur la berge de la rivière, qui en a vu passer. C’est une leçon burinée. Une autre porte s’ouvre alors ; derrière elle, des confidences sur la vie personnelle, pas pour que j’utilise l’information mais pour que je comprenne tout le reste. On ne peut pas séparer nos vies non ? Est-ce qu'on peut être d’une sorte au travail et d'une autre dans la vie personnelle, est-ce qu’on peut imaginer qu’il n’existe aucune porosité, est-ce qu’on peut croire que l’une n’impacte pas l’autre ?

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Par Aurélie Jeannin

Les récits que nous faisons de nous sont très puissants. Certains nous ligotent, nous limitent. D’autres nous portent de façon grandiose et libérée. Je m’appelle Aurélie Jeannin. J’accompagne par le récit, sous des formes diverses.

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